Parution du n°432 du "Bulletin célinien"
Sommaire :
Clément Camus et Albert Paraz
Le cuirassier à Rambouillet
Céline dans Excelsior
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Parution du n°432 du "Bulletin célinien"
Sommaire :
Clément Camus et Albert Paraz
Le cuirassier à Rambouillet
Céline dans Excelsior
« Il était très cultivé. Il avait énormément lu, avait beaucoup retenu et savait beaucoup de choses, presque sur tout », disait l’un de ses proches. Publiquement Céline s’est peu confié sur ses lectures. Lui rendant visite à Montmartre, un confrère évoquait « les bouquins dissimulés comme chez de vieux paysans qui lisent, mais croiraient se révéler dangereusement en laissant connaître leurs lectures. » Durant sa vie professionnelle ainsi que les dernières années, il dira n’avoir pas le temps de lire. Ce qui était alors vrai ne le fut pas à d’autres périodes : Londres (où il lit Hegel, Fichte, Nietzsche et Schopenhauer !), l’Afrique et naturellement le Danemark, en particulier les dix-huit mois de réclusion. Si à la fin de sa vie, il cite invariablement Barbusse, Morand et Ramuz pour la raison que l’on sait, il a bien d’autres admirations : Vallès (« l’homme de tous les écrivains que j’admire le plus ») et, pour les anciens, Villon, La Fontaine ou Chateaubriand. Parfois son jugement évolue avec le temps. Le cas le plus notable est évidemment Proust tant daubé dans les années trente et suivantes. Et qualifié de « dernier grand écrivain de notre génération » à la fin. Ces évolutions sont prises en compte dans ce dictionnaire dont la lecture constitue un régal tant les commentaires donnent à réfléchir sur la complexité d’un homme que certains ont trop vite qualifié de fruste. Se dessine, au contraire, le portrait de quelqu’un de cultivé et – lorsqu’il n’est pas aveuglé par ses phobies – de perspicace. Ce dictionnaire, merveille de précision et de rigueur, constitue une contribution capitale à la connaissance d’un écrivain qui a beaucoup lu et beaucoup retenu. Ouvrage de référence sur les sources et lectures de l’écrivain, il est appelé à figurer dans la bibliothèque de tout célinien digne de ce nom.
• Laurent SIMON & Jean-Paul LOUIS, La Bibliothèque de Louis-Ferdinand Céline (Dictionnaire des écrivains et des œuvres cités par Céline dans ses écrits et ses entretiens), Du Lérot, 2020, 2 volumes de 376 et 384 p., ill.
► Deux précisions : a) il est erroné d’écrire qu’André Thérive « ne fit que quelques allusions à Céline » dans l’hebdomadaire Paroles françaises puisqu’il fut, en 1950, l’un des très rares critiques à consacrer un grand article à Casse-pipe (repris dans le BC de juillet-août 2015) ; b) Il existe une photographie (fonds Sygma) de l’écrivain debout devant sa bibliothèque à Meudon (reproduite en 1979 dans le supplément iconographique de feu La Revue célinienne). Sur l’original de ce cliché (que nous n’avons malheureusement plus), on distingue nettement plusieurs titres. Il s’y trouve notamment plusieurs ouvrages médicaux et un livre de… Roger Vailland (!).
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par Nicolas Bonnal
Ex: https://voxnr.com
Avant d’étudier Bernays on rappellera Céline. Apparemment, tout les oppose, mais sur l’essentiel ils sont d’accord : le monde moderne nous conditionne…
« Nous disions qu’au départ, tout article à « standardiser »: vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s’imposer au goût, à l’admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l’article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu’eux tous à la fois. »
Bernays… C’est un des personnages les plus importants de l’histoire moderne, et on ne lui a pas suffisamment rendu hommage ! Il est le premier à avoir théorisé l’ingénierie du consensus et la définition du despotisme éclairé.
Edouard Bernays est un expert en contrôle mental et en conditionnement de masse. C’est un neveu viennois de Freud, et comme son oncle un lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux États-Unis, sans se préoccuper de ce qui va se passer à Vienne… Journaliste (dont le seul vrai rôle est de créer une opinion, de l’in-former au sens littéral), il travaille avec le président Wilson au Committee on Public Information, au cours de la première Guerre Mondiale. Dans les années Vingt, il applique à la marchandise et à la politique les leçons de la guerre et du conditionnement de masse ; c’est l’époque du spectaculaire diffus, comme dit Debord. A la fin de cette fascinante et marrante décennie, qui voit se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, le surréalisme et le radicalisme en France, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande (la première congrégation de propagande vient de l’Eglise catholique, créée par Grégoire XV en 1622) où le plus normalement et le plus cyniquement du monde il dévoile ce qu’est la démocratie américaine moderne : un simple système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et primaires à la fois ; et une oligarchie, une cryptocratie plutôt où le sort de beaucoup d’hommes, pour prendre une formule célèbre, dépend d’un tout petit nombre de technocrates et de faiseurs d’opinion. C’est Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggsau petit déjeuner par exemple : dix ans plus tard les hygiénistes nazis, aussi forts que lui en propagande (et pour cause, ils le lisaient) interdisent aux femmes de fumer pour raisons de santé. Au cours de la seconde guerre mondiale il travaille avec une autre cheville ouvrière d’importance, Walter Lippmann.
Avec un certain culot (une certaine chutzpah ?), Bernays dévoile les arcanes de notre société de consommation. Elle est conduite par une poignée de dominants, de gouvernants invisibles. Rétrospectivement on trouve cette confession un rien provocante et –surtout – imprudente. A moins qu’il ne s’agît à l’époque pour ce fournisseur de services d’épater son innocente clientèle américaine ?
“Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d’habiles personnages agissant en coulisse.”
Bernays reprend l’image fameuse de Disraeli dans Coningsby: l’homme-manipulateur derrière la scène. C’est l’image du parrain, en fait un politicien, l’homme tireur de ficelles dont l’expert russe Ostrogorski a donné les détails et les recettes dans son classique sur les partis politiques publié en 1898, et qui est pour nous supérieur aux Pareto-Roberto Michels. Nous sommes dans une société technique, dominés par la machine (Cochin a récupéré aussi l’expression d’Ostrogorski) et les tireurs de ficelles, ou wire-pullers (souvenez-vous de l’affiche du Parrain, avec son montreur de marionnettes) ; ces hommes sont plus malins que nous, Bernays en conclut qu’il faut accepter leur pouvoir. La société sera ainsi plus smooth. On traduit ?
Comme je l’ai dit, Bernays écrit simplement et cyniquement. On continue donc:
“Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La complexité suppose des élites techniques, les managers dont parle Burnham dans un autre classique célèbre (l’ère des managers, préfacé en France par Léon Blum en 1946). Il faut enrégimenter l’opinion, comme au cours de la première guerre mondiale, qui n’aura servi qu’à cela : devenir communiste, anticommuniste, nihiliste, consommateur ; comme on sait le nazisme sera autre chose, d’hypermoderne, subtil et fascinant, avec sa conquête spatiale et son techno-charisme – modèle du rock moderne (lisez ma damnation des stars).
L’ère des masses est aussi très bien décrite – mais pas comprise – par Ortega Y Gasset (il résume tout dans sa phrase célèbre ; « les terrasses des cafés sont pleines de consommateurs »…). Et cette expression, ère des masses, traduit tristement une standardisation des hommes qui acceptent humblement de se soumettre et de devenir inertes (Tocqueville, Ostrogorski, Cochin aussi décrivaient ce phénomène).
“Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites d’intérêt général ; nous acceptons qu’un guide moral, un pasteur, par exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.”
Pour Bernays bien sûr on est inerte quand on résiste au système oppressant et progressiste (le social-corporatisme dénoncé dans les années 80 par Minc & co).
La standardisation décrite à cette époque par Sinclair Lewis dans son fameux Babbitt touche tous les détails de la vie quotidienne : Babbitt semble un robot humain plus qu’un chrétien (il fait son Church-shopping à l’américaine d’ailleurs), elle est remarquablement rendue dans le cinéma comique de l’époque, ou tout est mécanique, y compris les gags. Bergson a bien parlé de ce mécanisme plaqué sur du vivant. Il est favorisé par le progrès de la technique :
« Il y a cinquante ans, l’instrument par excellence de la propagande était le rassemblement public. À l’heure actuelle, il n’attire guère qu’une poignée de gens, à moins que le programme ne comporte des attractions extraordinaires. L’automobile incite nos compatriotes à sortir de chez eux, la radio les y retient, les deux ou trois éditions successives des quotidiens leur livrent les nouvelles au bureau, dans le métro, et surtout ils sont las des rassemblements bruyants. »
La capture de l’esprit humain est l’objectif du manipulateur d’opinion, du spécialiste en contrôle mental, cet héritier du magicien d’Oz.
“La société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande de toute sorte. Un effort immense s’exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d’une politique, d’un produit ou d’une idée.”
Concernant la première guerre mondiale, Bernays “révise” simplement l’Histoire en confiant que la croisade des démocraties contre l’Allemagne s’est fondée sur d’habituels clichés et mensonges ! Il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point…
“Parallèlement, les manipulateurs de l’esprit patriotique utilisaient les clichés mentaux et les ressorts classiques de l’émotion pour provoquer des réactions collectives contre les atrocités alléguées, dresser les masses contre la terreur et la tyrannie de l’ennemi. Il était donc tout naturel qu’une fois la guerre terminée, les gens intelligents s’interrogent sur la possibilité d’appliquer une technique similaire aux problèmes du temps de paix.”
On n’a jamais vu un cynisme pareil. Machiavel est un enfant de chœur. La standardisation s’applique bien sûr à la politique. Il ne faut pas là non plus trop compliquer les choses, écrit Bernays. On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble (les producteurs de soap séries à la TV) ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis politiques, et deux ou trois programmes simplifiés !
Bernays reprend également l’expression de machine de Moïse Ostrogorski (voir notre chapitre sur ce chercheur russe, qui disséqua et désossa l’enfer politique américain), qui décrit l’impeccable appareil politique d’un gros boss. La machine existe déjà chez le baroque Gracian. Ce qui est intéressant c’est de constater que la mécanique politique – celle qui a intéressé Cochin – vient d’avant la révolution industrielle. Le motindustriedésigne alors l’art du chat botté de Perrault, celui de tromper, d’enchanter – et de tuer ; l’élite des chats bottés de la politique, de la finance et de l’opinion est une élite d’experts se connaissant, souvent cooptés et pratiquant le prosélytisme. Suivons le guide en conspiration !
“Il n’en est pas moins évident que les minorités intelligentes doivent, en permanence et systématiquement, nous soumettre à leur propagande. Le prosélytisme actif de ces minorités qui conjuguent l’intérêt égoïste avec l’intérêt public est le ressort du progrès et du développement des États-Unis. Seule l’énergie déployée par quelques brillants cerveaux peut amener la population tout entière à prendre connaissance des idées nouvelles et à les appliquer.”
Comme je l’ai dit, cette élite n’a pas besoin de prendre de gants, pas plus qu’Edouard Bernays. Il célèbre d’ailleurs son joyeux exercice de style ainsi :
“Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La démocratie a un gouvernement invisible qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Si on avait su…
Après la Guerre, Bernays inspire le méphitique Tavistock Institute auquel Daniel Estulin a consacré un excellent et paranoïaque ouvrage récemment.
Mais en le relisant, car cet ouvrage est toujours à relire, je trouve ces lignes définitives sur l’organisation conspirative de la vie politique et de ses partis :
« Le gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. Depuis, par esprit pratique et pour des raisons de simplicité, nous avons admis que les appareils des partis restreindraient le choix à deux candidats, trois ou quatre au maximum. »
Et cette conspiration était n’est-ce pas très logique, liée à l’esprit pratique et à la simplicité :
« Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d’organisation et de direction, la dispersion de leurs voix individuelles entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusion ».
Pour le grand Bernays il n’y a de conspiration que logique. La conspiration n’est pas conspirative, elle est indispensable. Sinon tout s’écroule. L’élite qu’il incarne, et qui œuvre d’ailleurs à l’époque de Jack London, ne peut pas ne pas être. Et elle est trop souple et trop liquide pour se culpabiliser. N’œuvre-t-elle pas à la réconciliation franco-allemande après chaque guerre qu’elle a contribué à déclencher, et que la Fed a contribué à financer au-delà des moyens de tous ?
Elle est aussi innocente que l’enfant qui vient de naître.
Un qui aura bien pourfendu Bernays sans le savoir dans ses pamphlets est Louis-Ferdinand Céline. Sur la standardisation par exemple, voici ce qu’il écrit :
« Standardisons! le monde entier! sous le signe du livre traduit! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. »
Et d’ajouter sur un ton incomparable et une méchanceté inégalable :
« le livre pour l’oubli, l’abrutissement, qui lui fait oublier tout ce qu’il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l’autochtone, l’achèvement en somme de l’œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l’alcoolisme. »
La standardisation (j’écris satan-tardisation…) rime avec la mort (mais n’étions-nous pas morts avant, cher Ferdinand ? Vois Drumont, Toussenel même, ce bon Cochin, ce génial Villiers…). Le monde est mort, et on a pu ainsi le réifier et le commercialiser ;
« Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, puisqu’ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial ou lyrique, aucun besoin de se gêner! Le public prend ce qu’on lui donne. Pourquoi ne pas submerger tout! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère? Parfaitement insipide?… »
Divaguons sur ce thème de la civilisation mortelle – et sortons du Valéry pour une fois. A la même époque Drieu la Rochelle écrivait dans un beau libre préfacé par Halévy, Mesure de la France :
« Il n’y a plus de conservateurs, de libéraux, de radicaux, de socialistes. Il n’y a plus de conservateurs, parce qu’il n’y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d’autorité, ce n’est que ruine et poudre. »
Puis Drieu enfonce plus durement le clou (avait-il déjà lu Guénon ?) :
« Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera. »
Le gros shopping planétaire est mis en place par la matrice américaine, qui va achever de liquider la vieille patrie prétentieuse :
« Il n’y a plus de partis dans les classes, plus de classes dans les nations, et demain il n’y aura plus de nations, plus rien qu’une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. »
Drieu affirme il y a cent ans que le catholicisme romain est zombie :
« Le Vatican est un musée. Nous ne savons plus bâtir de maisons, façonner un siège où nous y asseoir. A quoi bon défendre des banques, des casernes, et les Galeries Lafayette ? »
Enfin, vingt ans avant Heidegger ou Ellul, Drieu désigne la technique et l’industrie comme les vrais conspirateurs :
« Il y aura beaucoup de conférences comme celle de Gênes où les hommes essaieront de se guérir de leur mal commun : le développement pernicieux, satanique, de l’aventure industrielle. »
Revenons à Céline, qui avec ferveur et ire dépeint la faune nouvelle de l’art pour tous :
« Les grands lupanars d’arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l’art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés… Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l’amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l’humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »
Et de conclure avec son habituelle outrance que l’époque de l’inquisition et des gladiateurs valait bien mieux :
« Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement asservis, invertis corps et âmes, d’une façon si dévotieuse, si suppliante.
Rome? En comparaison?… Mais un empire du petit bonheur! une Thélème philosophique! Le Moyen Age?… L’Inquisition?… Berquinades! Epoques libres! d’intense débraillé! d’effréné libre arbitre! le duc d’Albe? Pizarro? Cromwell? Des artistes! »
Dans son très bon livre sur Spartacus, l’écrivain juif communiste Howard Fast établit lui aussi un lien prégnant entre la décadence impériale et son Amérique ploutocratique. C’est que l’homme postmoderne et franchouillard a du souci à se faire (ce que Léon Bloy nommait sa capacité bourgeoise à avaler – surtout de la merde) :
« Plus c’est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le « bon sens » des foules c’est : toujours plus cons. L’esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l’art réaliste, surréaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25.000 haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu’elle est Mélanie l’incomparable… Un minimum d’originalité, mais énormément de réclame et de culot. L’être, l’étron, l’objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la propagande massive, doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d’autant mieux qu’il sera plus soigneusement dépourvu d’aspérités, de toute originalité, que toutes ses surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter l’attention et surtout la controverse. »
Et comme s’il avait lu et digéré Bernays Céline ajoute avec le génie qui caractérise ses incomparables pamphlets :
« La publicité pour bien donner tout son effet magique, ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n’importe quelle himalayesque, décervelante, tonitruante fantasmagorie… à propos d’automobiles, de stars, de brosses à dents, d’écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne ne tique… ne s’élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie.
Le reste, tout ce qu’il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit disparaître. C’est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu’on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l’infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d’imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte… »
Et de poursuivre sa belle envolée sur la standardisation :
« Le Standard en toutes choses, c’est la panacée. Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l’immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c’est la standardisation totale, âmes et corps. »
La violence pour finir :
« Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !… Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n’eut jamais dans toutes les pires antiquités… Du coup, on la gave, elle en crève… Et plus nulle, plus insignifiante est l’idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules… mieux la publicité s’accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l’idolâtrie… Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »
Céline est incomparable quand il s’attaque à la foule, lamentable quand il reprend le lemme du juif comme missionnaire du mal dans le monde moderne. Mais c’est cette folie narrative qui crée la tension géniale de son texte. De toute manière, ce n’est pas notre sujet. Et puis c’est Disraeli et c’est Bernays qui ont joué à l’homme invisible un peu trop visible. Comme dit Paul Johnson dans sa fameuse Histoire des Juifs (p. 329): “Thus Disraeli preached the innate superiority of certain races long before the social Darwinists made it fashionable, or Hitler notorious.”
Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration (Dualpha, Amazon.fr)
Frédéric Bernays – Propagande
Céline – Bagatelles…
Drieu la Rochelle – Mesure de la France
Johnson (Paul) – A History of the Jews
12:02 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, propagande, edward bernays, louis-ferdinand céline, standardisation | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Par Jacques DUFRESNE
Ex: https://metainfos.fr
Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Voici le nom qui se présente avec le plus d’insistance à mon esprit dans le contexte des deux grands débats actuels : sur le virus covid-19 et sur la violence faite aux femmes. Il se trouve que ce «sauveur des mères» a eu un biographe de génie, lui aussi médecin des pauvres : Louis-Ferdinand Céline. Dans son Semmelweis, qui fut sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1924, s’ébauche un style qui s’accomplira huit ans plus tard dans le Voyage au bout la nuit, mais qui déjà, dans sa verdeur, transporte le lecteur dans une région de la vérité à laquelle aucun autre livre ne lui avait donné accès. Ce fut en tout cas mon expérience lors de ma première lecture à la fin de la décennie 1970. J’en suis à ma cinquième ou sixième lecture et je m’exclame de nouveau, avec plus d’enthousiasme encore que jadis : voici un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les facultés de médecine ! J’ai lu quelques grandes biographies, parmi les œuvres de Plutarque, de Saint-Simon et de Stéphan Zweig notamment, aucune ne m’a donné autant que celle de Céline le sentiment de l’unité de l’auteur et de son sujet. Il m’est devenu impossible de les dissocier. Céline cite Semmelweis à quelques reprises, je me demande chaque fois s’Il s’agit vraiment d’une citation.
Je n’hésite plus à mettre entre parenthèses tout ce qu’on sait au croit savoir sur l’antisémitisme de Céline, suivant en cela l’exemple de l’homme qui aurait eu le plus de raisons de jeter l’anathème sur lui, George Steiner, un juif bien formé et bien informé qui, au lieu de nier le génie là où il le voyait associé aux passions les plus funestes, s’inclinait devant le mystérieux scandale de leur coexistence dans un même être, sans jamais exclure que, dans les mêmes circonstances , il aurait pu lui-même dériver vers les mêmes excès. Je reviens sur cette question dans un article distinct sur Steiner.
Semmelweis est celui qui, en 1848, quarante ans avant les découvertes de Pasteur sur l’infection par les microbes, a trouvé le remède à la plus tragique, la plus durable, la plus récurrente et la plus occultée des épidémies : celle qui, dans les grandes villes européennes du XIXème siècle notamment, frappaient les femmes pauvres réduites à accoucher dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité y était souvent de 40% et plus.
On ne sait plus qui de Socrate ou de Platon, il faut admirer le plus, tant le génie littéraire du second a contribué à la gloire du premier. Semmelweis a devant l’histoire la même dette à l’endroit de Céline que Socrate à l’endroit de Platon. Comparaison disproportionnée, m’objectera-t-on, l’œuvre de Platon est un sommet unique en son genre, tandis que la découverte de l’asepsie par Semmelweis, car c’est de cela qu’il s’agit, ne serait quun heureux événement parmi une foule d’autres semblables en médecine. Quand on a lu attentivement la thèse de Céline, on a au contraire et à jamais la conviction qu’il s’agit de deux plaidoyers en faveur de la même vérité, l’un au plus haut degré d’abstraction compatible avec la poésie, l’autre au ras du sol, comme dans les grands romans policiers mais jumelé à une poésie encore plus déchirante : celle de la compassion pour les malheureux.
« Semmelweis était issu d’un rêve d’espérance que l’ambiance constante de tant de misères atroces n’a jamais pu décourager, que toutes les adversités, bien au contraire, ont rendu triomphant. Il a vécu, lui si sensible, parmi des lamentations si pénétrantes que n’importe quel chien s’en fût enfui en hurlant. Mais, ainsi forcer son rêve à toutes les promiscuités, c’est vivre dans un monde de découvertes, c’est voir dans la nuit, c’est peut-être forcer le monde à entrer dans son rêve. Hanté par la souffrance des hommes, il écrivit au cours d’un de ces jours, si rares, où il pensait à lui-même : ‘’Mon cher Markusovsky, mon bon ami, mon doux soutien, je dois vous avouer que ma vie fut infernale, que toujours la pensée de la mort chez mes malades me fut insupportable, surtout quand elle se glisse entre les deux grandes joies de l’existence, celle d’être jeune et celle de donner la vie.’’ »[1]
Le Semmelweis de Céline est une chose unique dans l’histoire de la littérature. Tous les genres littéraires s’y entrelacent dans une harmonie impossible et pourtant bien atteinte : essai sur la méthode scientifique, roman policier, étude de caractères, évocation du génie des villes, histoire d’une époque et, à travers cette époque, témoignages saisissants sur la condition humaine. Quand on ferme le livre, on ne sait pas si l’on sort d’une fiction ailée ou d’un méticuleux rapport de laboratoire, d’une page de l’évangile ou d’une compilation de statistiques, mais on est sûr d’avoir fait quelque progrès dans l’inconnu de la vérité.
Semmelweis lui-même, comme Céline, est un être double, plein de compassion, mais aussi orgueilleux, intolérant et maladroit au point de nuire à ses propres recherches en se mettant inutilement à dos des collègues dont le soutien lui était nécessaire. Chercheurs du monde entier, en scaphandre, reliés par Internet et disposant d’ordinateurs tout puissants, la forme que prend aujourd’hui la recherche médicale, dans le cas des épidémies en particulier, rend très difficile pour nous de comprendre les génies solitaires du passé. Semmelweis fut peut-être le plus solitaire de tous. Et pour l’histoire des sciences telle qu’on la conçoit aujourd’hui, il n’a le mérite de la grandeur ni en tant que théoricien ni en tant que technicien : il ne fut qu’un observateur servi aussi bien par ses défauts, son orgueil, son entêtement que par ses qualités, son amour des vivants et son horreur de l’a peu près.
« L’ à peu près est la forme agréable de l’échec, consolation tentante…
Pour le franchir, l’ordinaire lucidité ne suffit pas, il faut alors au chercheur une puissance plus ardente, une lucidité pénétrante, sentimentale, comme celle de la jalousie. Les plus brillantes qualités de l’esprit sont impuissantes quand plus rien de ferme et d’acquis ne les soutient. Un talent seul ne saurait prétendre découvrir la véritable hypothèse, car il entre dans la nature du talent d’être plus ingénieux que véridique.
Nous avions pressenti, par d’autres vies médicales, que ces élévations sublimes vers les grandes vérités précises procédaient presque uniquement d’un enthousiasme bien plus poétique que la rigueur des méthodes expérimentales qu’on veut en général leur donner comme unique genèse.»[2]
Dans l’hôpital de Vienne où Semmelweis travaillait en tant qu’obstétricien, il y avait deux services de maternité, celui du professeur Bartch et celui du professeur Klin, dont il était l’adjoint. Après avoir éliminé une à une toutes les hypothèses, aussi farfelues les unes que les autres, rassemblées dans la littérature médicale de l’époque, il n’avait plus comme point de départ de son enquête qu’un seul fait : les femmes mouraient plus dans le service de Klin que dans celui de Bartch. Une différence entre les deux sautait aux yeux : dans le pavillon de Bartch le service était rendu par des sages-femmes, dans celui de Klin par des internes. Il a suffi à Semmelweis de signaler ce fait pour se mettre à dos et son patron et bon nombre de ses collègues. Il a en outre exigé avec une insistance incorrecte que les internes se lavent les mains entrant dans le pavillon de Klin; ce dernier, pour qui une telle précaution paraissait dénuée de tout fondement scientifique, le congédia. Les protecteurs de Semmelweis, car il en avait quelques-uns à Vienne, organisèrent pour lui un repos de deux mois à Venise, où il se rendit avec son ami Markusovsky. La merveille ici c’est la façon dont Céline, dans son roman biographique, raconte le séjour de Semmelweis et y voit le prélude à ses découvertes futures.
«Jamais Venise aux cent merveilles ne connut d’amoureux plus hâtif que lui. Et cependant, parmi tous ceux qui aimèrent cette cité du mirage, en fut-il un plus splendidement reconnaissant que lui ?
Après deux mois passés dans ce grand jardin de toutes les pierres précieuses, deux mois de beauté pénétrante, ils rentrent à Vienne. Quelques heures seulement se sont écoulées quand la nouvelle de la mort d’un ami frappe Semmelweis. Semblable cruauté du sort n’est-elle point normale dans sa vie ? »[3]
Le malheur n’a laissé aucun répit à Semmelweis. Il avait peu de temps auparavant perdu sa mère et son père. À son retour à Vienne, il apprend la mort de son meilleur ami, Kolletchka. Cette mort, comment se fait donc la science? enfermait la preuve que cherchait Semmelweis. Kolletchka s’était blessé à un doigt en pratiquant une autopsie : la vérité se dévoilait tragiquement : une quelconque particule cadavérique avait contaminé le sang de cet homme. Les internes transportaient cette substance dans les entrailles des mères. Semmelweis eut droit à un nouveau poste à son hôpital, cette fois dans le service de Bartch. Dans le but de préciser le contour de sa preuve, il obtint de son patron que les sages-femmes soient remplacées par des internes le temps d’une expérience. Le taux de mortalité s’accrut immédiatement. Semmelweis appliqua alors la solution technique qu’il avait à l’esprit depuis un moment : avant chaque intervention, obliger les sages-femmes et les internes à se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux. Le taux de mortalité descendit à son niveau actuel.
Il existait toutefois d’autres causes d’infection que les particules cadavériques. Ces causes ne manquèrent pas de se manifester en certaines occasions. Les adversaires de Semmelweis les invoquèrent pour achever de discréditer leur collègue et l’empêcher de progresser dans la défense de sa thèse. Semmelweis devait tenter par la suite de rallier les plus grands médecins d’Europe à sa cause. Peine perdue, la plupart d’entre eux, y compris le grand Virchow, ne répondirent même pas à ses lettres.
Voici le diagnostic de Céline sur cette infection de la raison humaine par les passions.
« ‘’S’il s’était trouvé que les vérités géométriques pussent gêner les hommes, il y a longtemps qu’on les aurait trouvées fausses.’’ (Stuart Mill)
Ce philosophe, tout absolu qu’il paraisse, demeure cependant bien au-dessous de la vérité, voici la preuve. La plus élémentaire raison ne voudrait-elle pas que l’humanité, guidée par des savants clairvoyants, se fût pour toujours débarrassée de toutes les infections qui la meurtrissaient, et tout au moins de la fièvre puerpérale, dès ce mois de juin 1848 ? Sans doute.
Mais, décidément, la Raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis.»
Déchiré par la contradiction entre l’amour de ses patientes et l’impuissance déraisonnable de sa profession, Semmelweis perdit le reste de prudence qu’il avait en réserve. Il tenta de dresser l’opinion publique contre ses collègues en les traitant de criminels sur des affiches. « Assassins ! je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale. »[4] Il sombra ensuite dans une démence aussi ardente que l’avait été son amour de la vérité et des mères : il fit un jour irruption dans une salle de dissection, s’empara d’un scalpel, trancha les chairs d’un cadavre et se blessa à une main. Il s’ensuivit une infection semblable à celle qui avait emporté Kolletchka, mais plus violente et plus longue.
La démence de Semmelweis inspira à Céline, sur la maladie mentale, quelques pages qui portent la marque de son génie comme tant d’autres dans son livre. Savoir raison garder ! La raison, qu’il assimile au bon sens, est cette limite, cette chaîne, qui tempère en nous une intelligence capable de toutes les démesures.
« Rapidement il devint le pantin de toutes ses facultés, autrefois si puissantes, à présent déchaînées dans l’absurde. Par le rire, par la vindicte, par la bonté, il fut possédé tour à tour, entièrement, sans ordre logique, chacun de ses sentiments l’agissant pour son compte, paraissant uniquement jaloux d’épuiser les forces du pauvre homme plus complètement que la frénésie précédente. Une personnalité s’écartèle aussi cruellement qu’un corps quand la folie tourne la roue de son supplice.[…] Semmelweis s’était évadé du chaud refuge de la Raison, où se retranche depuis toujours la puissance énorme et fragile de notre espèce dans l’univers hostile. Il errait avec les fous, dans l’absolu. »
Semmelweis avait participé dans une euphorie excessive et irresponsable à la révolution hongroise de 1848. Pensant aux poètes de la même époque, romantique, Céline rappelle ensuite les risques de la fuite dans l’irrationnel. « S’ils se doutaient, les téméraires, que l’enfer commence aux portes de notre Raison massive qu’ils déplorent, et contre lesquelles ils vont parfois, en révolte insensée, jusqu’à rompre leurs lyres ! S’ils savaient ! De quelle gratitude éperdue ne chanteraient-ils point la douce impuissance de nos esprits, cette heureuse prison des sens qui nous protège d’une intelligence infinie et dont notre lucidité la plus subtile n’est qu’un tout petit aperçu. »[5]
N’en faisons pas une théorie. Céline écrivain éclipse ici Céline psychiatre. Retenons toutefois qu’avant lui Platon et Aristote avaint rattaché l’idée de raison à celle de limite et à arrêtons-nous à la pertinence de ce livre dans le contexte actuel. Semmelweis était un solidaire. Modeste sur le plan théorique par rapport à celles de Pasteur et de Virchow plus tard dans le même siècle, sa découverte, celle de l’asepsie, n’en n’est pas moins l’une des plus importantes de l’histoire de la médecine et elle a l’avantage par rapport à la plupart des découvertes postérieures de donner lieu à des applications qui ne coûtent rien, qui présentent le meilleur rapport coût/efficacité dont on puisse rêver. Rappelons aussi que Semmelweis a jeté les bases de ce qu’on appellera un siècle plus tard la médecine basée sur les faits.
Le même chercheur solitaire aurait sans doute été heureux de disposer des technologies et des moyens de communications offerts aux chercheurs d’aujourd’hui, mais on peut aussi se demander si la médecine ne se prive pas d’occasions de grandes découvertes en misant trop exclusivement les technologies de pointe. Faut-il exclure qu’il y ait dans le cas du cancer, de la maladie d’Alzheimer ou de tel ou tel virus grippal des causes échappant aux radars les plus sophistiqués, des causes simples que seul pourrait découvrir un génie rassemblant tous les facteurs de réussite que Céline a su repérer dans la vie et le caractère de Semmelweis. C’est parce qu’Il se posait les mêmes questions que, dans un livre intitulé Chercher, René Dubos, celui à qui l’on doit la découverte du premier antibiotique, se prononça en faveur de la recherche dans les petites universités comme complément à la recherche dans les grands instituts. Voici ce qu’il a observé dans les petites universités du Middle West : « Ce qui m’impressionne, c’est le nombre de jeunes gens à l’esprit très ouvert de qui sortiront les idées les plus originales, les plus inattendues, alors que si vous allez à Harvard, ou à l’Institut Rockefeller, vous trouverez des gens admirables, mais qui se sont engagés dans une voie dont ils ne pourront pas sortir.»[6]
[1]Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Gallimard, Paris 1990, p. 81-82.
[2] Ibid., p.80
[3] Ibid., p.74
[4] Ibid., p.111
[5] Ibid., P.121
[6] René Dubos, Jean-Paul Escande, Chercher, Éditions Stock, 1979, p.55
SOURCE : http://encyclopedie.homovivens.org/
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par Juan Asensio
Ex: http://www.juanasensio.com
Autres saines lectures:
Louis-Ferdinand Céline dans la Zone.
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Les trois derniers numéros du Bulletin célinien
Numéro 422:
Sommaire :
In memoriam Frédéric Monnier
Mort à crédit traduit en vietnamien
Céline, romancier de l’oubli
L’interview de Céline dans Europe-Amérique.
Il se savait condamné depuis plusieurs années et faisait face à la maladie avec un courage magnifique. J’ai fait sa connaissance il y a quarante ans lorsque Pierre publia son Ferdinand furieux avec 300 lettres inédites de Céline. Frédéric, lui aussi fervent admirateur de l’écrivain, suivit la trace de son père en se faisant l’éditeur de Céline dans les années 80. Il commença modestement en publiant, sous la forme de plaquettes, Chansons, puis un scénario de ballet, Arletty jeune fille dauphinoise, avant de s’attaquer à la correspondance de Céline, éditant celle-ci de manière rigoureuse et soignée. C’est ainsi que, grâce à lui, nous disposons de la correspondance à ses avocats (Naud et Tixier-Vignancour), à Joseph Garcin et enfin au traducteur hollandais de Céline, J. A. Sandfort. Faut-il préciser que ces éditions sont aujourd’hui très recherchées par la nouvelle génération de céliniens ? Les premiers livres qu’il a édités le furent sous l’égide de La Flûte de Pan, librairie musicale, sise rue de Rome à Paris, dont il fut le fondateur et qui s’avéra une belle réussite professionnelle. Ses dernières années furent consacrées à une enquête minutieuse sur son arrière grand-oncle, Marius Mariaud, figure méconnue du cinéma muet. Le livre, édité l’année passée par l’Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma, est un modèle de recherche historiographique. Durant quatre ans Frédéric y apporta tout le soin et la persévérance dont il était capable. Cet ouvrage, qui fera date, constitue une manière de testament. « Il s’agissait moins ici de réhabiliter un auteur que de montrer ce qu’a été le parcours d’un homme qui a participé à la grande aventure créatrice de son temps et qui a fini sa vie dans le dénuement et l’oubli », écrit-il en conclusion. Sans lui, seuls quelques cinéphiles pointus connaîtraient l’œuvre de ce pionnier ¹.
Lorsqu’on évoque sa mémoire, il importe de relever cet humour pince-sans-rire apprécié par ses amis. Et qui est apparu très tôt si l’on en juge par les souvenirs de son père : « Frédéric a huit ans et demi. Il est impassible, il écoute et sourit à peine… En classe, il est très sage, il travaille peu, parle peu, sauf pour dire par moment et sans broncher, une énormité. On l’appelle Buster Keaton. Ce soir, visite de notre ami Frédéric Pons, prof à Louis Le Grand. Homme de haute taille avec un fort accent biterrois et un crâne chauve et pointu. Il prend Frédéric dans ses bras… “Et toi, petit Frrrdérrric, tu ne me dis rien ?…” …Frédéric pose sa main sur le crâne chauve et dit : “Oh !… la belle petite poire à lavement…” ». Et l’auteur d’ajouter : « Les parents disparaissent lâchement dans la cuisine… ». Sur la même page, Pierre Monnier conte d’autres anecdotes révélatrices de l’esprit déjà facétieux du fiston ².
Frédéric n’était pas un admirateur frileux de Céline. À un ami qui désapprouvait l’attitude de l’exilé rendant son éditeur responsable de la réédition des pamphlets pendant la guerre, il répondait : « Je pense au contraire que, pour se défendre dans un procès politique, ces coups-là sont permis. D’autant plus que Denoël était mort. » Bien entendu, il était à nos côtés au cimetière de Meudon lorsqu’en 2011, François Gibault, entouré de quelques autres admirateurs de l’écrivain, prononça une allocution à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. Grand moment d’émotion… Avec Frédéric Monnier, nous perdons un ami fidèle ainsi qu’un homme de talent.
Numéro 421:
Sommaire :
Quand Céline se faisait siffler à Médan
La polémique de l’été 1957 dans l’hebdomadaire Dimanche-Matin
Quatre lettres de Paul Chambrillon à Albert Paraz
Résurrection d’Eugène Dabit
• « Louis-Ferdinand Céline, au fond de la nuit » (série “Grande traversée”). Production : Christine Lecerf. Réalisation : France Culture, 15-19 juillet 2019. À écouter sur www.lepetitcelinien.com.
Numéro 420
Sommaire :
Céline et le Prix Goncourt
Robert Denoël défend Céline
Simlâ Ongan, traductrice de Mort à crédit
Vichy face aux Beaux draps
L’Odyssée de Ferdine
Envions ceux qui ne connaissent pas encore L’Année Céline. Que de découvertes passionnantes en perspective ! ¹ Nulle forfanterie de l’éditeur lorsqu’il présente sa revue comme « le premier outil de référence pour les amateurs et les chercheurs ». C’est indubitablement le cas. À propos de la dernière livraison, Éric Mazet écrit : « S’il n’y avait qu’une seule Année Céline à posséder, ce serait celle-ci. Mais j’ai la collection complète et je la garde précieusement ² ». Il n’est pas le seul. Peut-on d’ailleurs se dire célinien si l’on ne détient pas la trentaine de volumes édités chaque année depuis 1990 ? Comme à chaque fois, on peut y lire un ensemble de lettres de l’écrivain dont la plupart inédites. L’une date de la jeunesse du cuirassier Destouches, l’autre du début de carrière du médecin de dispensaire. On peut surtout y découvrir une quarantaine de lettres écrites en exil à son beau-père, Jules Almansor. Et quatre lettres au québécois Victor Barbeau, né la même année que Céline et décédé centenaire. Pièce maîtresse de ce volume : le Rapport de la police danoise après l’arrestation de Céline à Copenhague, traduit et présenté par François Marchetti, le meilleur connaisseur de cette période de la vie de l’écrivain. Également au sommaire : un relevé des articles citant Céline dans la revue L’Homme libre, deux textes de l’écrivain hollandais Cola Debrot, un dossier sur la réception critique de Mea culpa, et une analyse fouillée des sources inconnues de L’École des cadavres. Laquelle montre qu’une réflexion sérieuse sur les pamphlets ne peut faire l’économie de la littérature, ces écrits ne se limitant pas au combat idéologique. Une lecture purement historienne de ce corpus ne peut dès lors aboutir qu’à une impasse : « Cette lecture doit impérativement et nécessairement tenir compte de l’écriture, sans quoi elle rate son objet. »
Un mot sur la qualité formelle de cette série imprimée sur papier de qualité et brochée au fil. Le fait que l’éditeur en soit aussi l’imprimeur n’y est pas étranger. D’un bout à l’autre de la chaîne (composition, mise en page, impression et brochage), la totalité du travail est assurée par Jean-Paul Louis, artisan patenté. Pour le reste, on ne se lasse pas de dire notre dette envers lui. Je songe en premier lieu à la correspondance célinienne (Paraz, Canavaggia, Monnier, Hindus, anthologie de la Pléiade) dont il s’est fait l’éditeur scientifique ³. Dans l’appareil critique, il s’attache – et c’est rafraîchissant dans le cas de Céline – à ne pas porter de jugement moral, politique ou idéologique : « L’éditeur de correspondance n’est ni pour ni contre, il est avec (…) Proximité et distanciation ne sont pas contradictoires, mais complémentaires : se mettre à bonne distance pour ajuster sa vision, acquérir la plus grande netteté possible et transmettre le résultat de ses observations 4. »
• L’Année Céline 2018, Éditions du Lérot, 384 p., ill. (Diffusé par le BC, 45 € franco).
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« Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur
et on peut rêver à ce qu’eût été son destin
si la guerre, suivie de cette mort tragique,
n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée
par les vicissitudes du temps »
La carrière d’éditeur de Robert Denoël débute le 30 juin 1928 et s’achève le 2 décembre 1945. Durant ces dix-sept années d’activité, il a publié quelque 700 livres à différentes enseignes. Il fût l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline et pour cela, assassiné à la fin de la IIe Guerre mondiale. Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête ; Jean Jour s’est attaché à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Pour cette figure secrète et sulfureuse de l’édition, il s’agissait de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt : à travers son existence tumultueuse, ce sont tous les dessous terribles de l’édition, des années de guerre, des règlements de comptes politiques et financiers qui nous sont racontés avec talent par un auteur qui n’a cure du politiquement correct.
Préface de Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien, du livre de Jean Jour Robert Denoël, un destin, désormais disponible aux éditions Dualpha.
Alors que Bernard Grasset, Gaston Gallimard ou René Julliard ont depuis belle lurette leur biographe, aucune étude approfondie n’existe encore sur Robert Denoël. Le livre de l’Américaine Louise Staman, paru en 2002, s’attache surtout à éclaircir le mystère de son assassinat. C’est dire si Jean Jour s’aventure sur un terrain en friche et manifestement périlleux, compte tenu des circonstances de la disparition de cet éditeur.
Tragique destin que celui de ce jeune Liégeois qui n’aura pu exercer sa profession que durant une quinzaine d’années. Pour beaucoup, il demeure le découvreur de Céline auquel son nom demeure associé. Et pourtant nombreuses sont les œuvres importantes du XXe siècle qu’il aura publiées : L’Hôtel du Nord d’Eugène Dabit, Héliogabale d’Artaud, Tropismes de Nathalie Sarraute, Les Beaux Quartiers d’Aragon, Les Décombres de Rebatet, Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich, Les Marais de Dominique Rolin, Notre-Dame des Fleurs de Jean Genet, pour ne citer que les plus connues.
On a parfois traité Denoël d’opportuniste. C’est ne pas voir qu’il fut viscéralement éditeur, très tôt soucieux de diversifier sa production, de publier des livres de qualité à une époque où la concurrence était rude, et d’assurer la pérennité de sa maison. Il réussit même à damer le pion à ses illustres confrères dans la course aux prix littéraires, récoltant sept Prix Renaudot – dont le fameux Voyage au bout de la nuit – en une décennie. Il fut aussi l’un des premiers éditeurs à publier des textes psychanalytiques, notamment ceux de René Allendy, Otto Rank et Marie Bonaparte.
Jean Jour a raison d’écrire que sa vie d’éditeur se caractérisa par une incessante course à l’argent. Toujours sur le fil du rasoir, Denoël n’eut jamais les moyens de ses ambitions. C’est sans doute ce qui le perdit, étant sans cesse contraint de faire des concessions. Ceci concerne tout aussi bien la diffusion de ses livres que la publication de titres plus ou moins imposés par les circonstances, ou, plus fâcheux encore, la cession de parts de sa société à des tiers qui se révéleront encombrants, voire dangereux.
Il dut également se colleter à Céline. On sait que son auteur vedette n’était guère accommodant, ne craignant pas de mettre en péril la survie même de la maison d’édition par une redoutable avidité pécuniaire. Lorsqu’en 1936, Céline adresse, par huissier, une assignation en bonne et due forme à son éditeur, celui-ci le met en garde : « Si vous persistez dans votre attitude, vous réussirez simplement à me jeter par terre, sans obtenir un franc. En effet, l’affaire Denoël & Steele est hypothéquée pour 200 000 frs et elle doit 50 000 frs au fisc. Quand on aura vendu aux enchères, il ne restera rien pour les autres créanciers. Les bouquins se vendront au camion à raison de 80 frs les 1 000 kilos et tout le bénéfice que vous en aurez tiré sera d’avoir ruiné un homme qui, peut-être, vous a fait quelque bien. »
Terrible aveu qui montre à quel point Denoël se trouve alors tenaillé entre une situation financière difficile et le manque de souplesse de Céline qui se vantera plus tard d’avoir été l’auteur le plus exigeant sur le marché. Mais s’il abreuvait volontiers son éditeur de sarcasmes, cela ne l’empêchera pas, plus tard, de lui rendre un juste hommage : « Un côté le sauvait… il était passionné des Lettres… il reconnaissait vraiment ce travail, il respectait les auteurs. »
Nul éloge comparable, sous la plume de Céline, à l’égard de Gaston Gallimard, faut-il le préciser ?
Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête qui s’est attachée à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Le fait que Jean Jour soit également natif de Liège lui aura permis de mieux appréhender cette figure secrète. Il s’agissait aussi de comprendre cette volonté farouche de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt.
Et si Denoël a marqué l’histoire littéraire des années qui ont suivi, c’est grâce à une forte personnalité qui lui permit de vaincre bien d’obstacles : « Le physique de l’homme traduit le caractère. Tête romaine, figure romantique, mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit ». Ainsi le voit un compatriote venu lui rendre visite dans son bureau directorial, trois ans seulement avant sa disparition.
Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur et on peut rêver à ce qu’eût été son destin si la guerre, suivie de cette mort tragique, n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée par les vicissitudes du temps.
Journaliste, Jean Jour (1937-2016) est né sur l’île d’Outremeuse, à Liège, patrie de Simenon, et en a retenu tout le côté pittoresque. Il est l’auteur d’une cinquantaine de livres très divers et a traduit plusieurs romans américains.
Robert Denoël, un destin de Jean Jour, éditions Dualpha, collection «Vérités pour l’Histoire», dirigée par Philippe Randa, 246 pages, 27 euros. Nombreuses illustrations. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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Bulletin célinien n°415
Février 2019
Sommaire :
Rencontre avec Yves-Robert Viala
À l’agité du bocal (re)composé par Bernard Cavanna
La vérité sur Bessy
Une conférence sur Céline
Le bilan de l’accueil et l’évolution de Céline de L’Église à Mort à crédit.
par Marc Laudelout
Tout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.
Fallait-il que les deux auteurs aient jadis éprouvé pour Céline « une admiration sans bornes » (expression employée dans l’introduction) pour en arriver là ! Peu suspect de complaisance envers l’écrivain, Émile Brami, dans l’un des premiers comptes rendus du livre, a magistralement montré l’inanité de certaines accusations (agent actif du SD, notamment) dépourvues de la moindre preuve ². Accusations basées sur une méthodologie contestable qui tient à la formation des auteurs : l’une vouée aux études littéraires, l’autre à la philosophie et à l’histoire des idées. Mais pas la moindre formation d’historien s’étant frotté à la critique interne et externe des documents. Si tel avait été le cas, plusieurs bourdes eussent été évitées. Le fait que Céline, véritable électron libre avant et pendant la guerre, ait souhaité la victoire de l’Axe et qu’il ait, à ce titre, fréquenté des officiels (allemands et français) n’est pas douteux. Ne l’est pas moins le fait qu’il n’ait pas mis une sourdine à son racisme (englobant son antisémitisme) pendant les années noires. Mais cela ne fait pas de lui un agent (stipendié ou pas) de la police allemande. D’autant qu’il est avéré qu’il fréquentait le plus souvent ces personnalités à des fins personnelles (récupération de son or saisi en Hollande, possibilité de séjourner sur la côte bretonne, etc.). Pour le reste, « était-il nécessaire de vouloir à toute force rendre Céline plus noir qu’il ne l’a été ? » ³. Oui s’il s’agit de faire en sorte que l’Université le boycotte tant et plus. Les auteurs auront alors beau jeu de constater qu’aucun « grand spécialiste universitaire » ne se penche décidément sur son œuvre. Mais, ce qui frappe le plus à la lecture du livre, c’est ce mépris d’acier qu’affichent les auteurs. Mépris envers l’écrivain qui a cessé d’être pour eux un classique, tout au plus un styliste de talent 4. Mépris envers ses exégètes, tel Henri Godard, déconsidéré car n’ayant pas les connaissances (philosophiques, ethnographiques, anthropologiques et génétiques) requises à leurs yeux pour pouvoir traiter valablement du sujet 5. Mépris envers les chercheurs, tel Éric Mazet ou Jean-Paul Louis, perçus comme des dévots du « culte célinien ». Mépris envers la plupart des autres célinistes, « érudits aussi passionnés que limités dans leurs perspectives ». Mépris enfin envers les admirateurs de son œuvre. Tous étiquetés célinophiles, célinomanes ou célinolâtres. De Kaminski à Peillon en passant par Vanino, Kirschen, Gosselin, Martin, Bounan et Bonneton, la liste des livres hostiles à Céline est déjà longue. Nul doute que celui-ci a décroché la palme.
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Bulletin célinien
Janvier 2019
Sommaire :
Réhabilitation littéraire
Aux céliniens d’en bas
Céline à Drouot
Le choc de Breugel
Le Prix Renaudot et la participation du lauréat
Quand Jacques Ovadia écrivait à Céline et à Pauvert
Intolérable « réhabilitation littéraire » de Céline ! C’est le sens implicite d’un article de Philippe Roussin * (qui se trouve être, comme Taguieff et comme Anne Simonin, directeur de recherche au CNRS). Selon lui, cette réhabilitation s’est faite au prix du refoulement de son antisémitisme. Paradoxal car, depuis une trentaine d’années, on ne peut plus lire un article sur Céline sans que ne soit inévitablement rappelé son passé de “collabo” et son antisémitisme patenté. Affirmer que cela a été mis sous le boisseau apparaît ébouriffant. C’est à croire que cet universitaire ne lit pas les journaux et ne regarde pas la télévision. Chaque commentateur se fait un devoir de rappeler cette composante de l’œuvre. Par ailleurs, ces vingt dernières années, les essais, opuscules et articles sur l’idéologie célinienne se sont multipliés.
Retour en arrière : dans un entretien paru il y a quelques années ¹, Roussin confiait que lorsqu’il était étudiant, il lisait avec passion la revue Tel quel de Sollers, « alors la seule université digne de ce nom ». C’était l’époque où ce trimestriel, très impliqué en politique, célébrait la “réussite” de la révolution culturelle chinoise. Aujourd’hui, Roussin déplore le virage que cette publication prit ensuite, lorsqu’elle « se détourna de la politique et hissa la littérature française au rang d’un absolu ». Sollers et ses amis redécouvrirent alors puis revendiquèrent Céline « comme leur champion incontesté ». Et proclamèrent qu’on ne peut pas juger un écrivain sur des critères moraux. C’était prendre le contre-pied des thèses sartriennes qui ont, on l’aura compris, l’aval de Roussin. Pour celui-ci, la littérature doit nécessairement se soumettre au jugement politique. Bien entendu il est résolument contre une réédition scientifique des pamphlets car ce serait leur donner « une caution exagérée ». Et d’ajouter (il se refuse naturellement à détenir ces textes chez lui) : « Ceux qui veulent les lire n’ont qu’à faire comme moi, aller en bibliothèque. ».
Sur deux pages, il passe douloureusement en revue les nombreux aspects de la gloire posthume de Céline : le fait qu’il soit reconnu à l’égal de Proust, sa consécration éditoriale dans la Pléiade, l’inscription (1993) de Voyage au bout de la nuit au programme de l’agrégation de littérature française, l’achat du manuscrit par la B.N.F, la dizaine de biographies à lui consacrée, le succès des adaptations théâtrales, etc. Heureusement, « la réhabilitation littéraire a ses limites » : retrait en 2011 du “Recueil des célébrations nationales” et suspension l’année passée du projet de réédition des pamphlets par Gallimard face aux protestations qu’il a suscitées. Roussin considère que l’actualité célinienne n’est plus seulement d’ordre littéraire mais aussi d’ordre politique en raison notamment du climat « xénophobe » en France et en Europe. Claire allusion au souhait des peuples de vouloir à la fois restreindre l’immigration de masse et l’accueil des migrants. De là à évoquer une “révolte des indigènes”…
• Philippe Roussin, « Réhabiliter Céline » in L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 62-64.
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Bulletin célinien n°413 (décembre 2018)
Sommaire :
L’énigme de l’assassinat de Denoël enfin résolue ?
Le lancement de Voyage et la querelle du Prix Goncourt
Esther Rhodes (1905-1955)
Jusqu’à ce jour, tout le monde (Céline lui-même, ses biographes, le monde judiciaire) considérait qu’en 1950 la justice française avait été bonne fille avec l’auteur des Beaux draps. Anne Simonin, directrice de recherche au CNRS, estime, elle, que le jugement fut d’une « sévérité extrême » ¹. Mais il y a mieux : on sait que l’année précédente, en novembre 1949, le commissaire du gouvernement Jean Seltensperger fut dessaisi du dossier, sa hiérarchie estimant son réquisitoire magnanime. Il se concluait, en effet, par le renvoi de Céline devant une Chambre civique (au lieu de la Cour de justice), ce qui eût entraîné une peine sensiblement moins lourde. L’historienne considère qu’il s’agit en réalité d’une « apparente complaisance », le magistrat ayant, au contraire, fait preuve d’une rare duplicité : « Imaginer renvoyer Céline en chambre civique était une façon habile de l’inciter à rentrer en France et à se produire en justice. Une fois Céline devant une chambre civique et condamné à la dégradation nationale, rien n’interdisait au commissaire du gouvernement de considérer que Céline avait aussi commis des actes de nature à nuire à la défense nationale (art. 83-4 du Code pénal). Le mandat d’arrêt, ordonné en 1945, autoriserait alors à renvoyer Céline en prison avant de le déférer en Cour de justice. Et le tour serait joué. » C’est perdre de vue que, dans son réquisitoire, Seltensperger avait requis la mainlevée du mandat d’arrêt. Et c’est surtout ne pas connaître les arcanes de cette histoire judiciaire. Coïncidence : il se trouve que le père (magistrat, lui aussi) d’un de nos célinistes les plus pointus, Éric Mazet, fut le meilleur ami de Jean Seltensperger. Au mitan des années soixante, les confidences que celui-ci fit au jeune Mazet attestent qu’il n’a jamais voulu piéger Céline, bien au contraire. Le réquisitoire modéré qu’il prononça en atteste et ce n’est pas pour rien que le dossier fut confié à un autre magistrat.
Ce n’est pas tout. En février 1951, les Cours de justice, juridiction d’exception chargé des affaires de Collaboration, furent dissoutes : celles-ci relevaient désormais de juridictions militaires. En avril, le Tribunal militaire de Paris fit bénéficier Louis Destouches d’une ordonnance d’amnistie applicable aux anciens combattants blessés de guerre. Ici aussi, l’historienne s’insurge, estimant que cette amnistie découle d’un faux en écriture publique (!). Explication, photo du document à l’appui : c’est un paragraphe ajouté à la main qui amnistia Céline « à l’insu » [sic] du Tribunal militaire. En tant que biographe de Céline, l’avocat François Gibault a étudié le dossier et connaît intimement cette matière. Il estime l’hypothèse pour le moins fantaisiste : « Si le Tribunal militaire n’avait pas délibéré sur la question de l’amnistie, le Président l’aurait fait savoir quand tout le monde lui est tombé sur le dos. Idem pour les juges du Tribunal militaire. La photo qui figure en marge de l’article est un jugement-type remis par le greffier au président pour gagner du temps. Il est d’usage que le président du tribunal supprime les passages inutiles, remplisse les blancs et ajoute à la main ce qui doit l’être. » Il paraît qu’Anne Simonin veut entreprendre des recherches pour savoir s’il s’agit bien de l’écriture de Jean Roynard, le magistrat qui présidait le Tribunal militaire. Notre historienne se doute-t-elle que cette écriture peut tout aussi bien être celle du greffier, du juge-rapporteur ou d’un autre juge qui tenait la plume ? Et connaît-elle le rôle déterminant qu’eut le colonel André Camadau, en charge de l’accusation, dans cette affaire ? ² Rien n’est moins sûr…
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Bulletin célinien, n°412
Sommaire :
Pierre Laval vu par Céline
Un guide du Paris “réac et facho”
Sillonner les transports céliniens à la recherche du style
Voyage à nouveau sur les planches
Céline au bout de la nuit africaine
par Marc Laudelout
Contre Céline tout est désormais permis. Dans un fort volume d’un millier de pages, on peut, sans susciter guère de contestations, le faire passer pour un vil délateur et un actif agent de l’Allemagne alors même qu’on n’apporte aucune preuve tangible. Tout ou presque n’y est que suppositions gratuites, insinuations malveillantes, déductions fallacieuses et hypothèses bancales. Le piège est redoutable car réfuter ces calomnies vous fait ipso facto passer pour un personnage suspect. Céline, il est vrai, n’est pas un écrivain facile à défendre tant il s’est mis lui-même dans un mauvais cas. Il ne s’agit d’ailleurs pas de le défendre (son procès se tint il y a plus d’un demi-siècle) mais d’établir les faits, uniquement les faits. On aurait envie de répondre à ses détracteurs que ce n’est pas la peine d’en rajouter même si l’envie démange certains de le mettre indéfiniment en accusation. Ils n’ont de cesse de faire encore et toujours son procès. L’année du cinquantenaire de sa mort, la chaîne franco-allemande Arte, puis la Télévision suisse romande, ont précisément diffusé un documentaire refaisant Le Procès de Céline, où intervenait déjà le tandem Taguieff-Duraffour. Aujourd’hui, la revue L’Histoire publie un dossier sur le même sujet ¹ et, au début de ce mois, le tribunal de la FFDE (Fédération Française de Débat et d’Éloquence) organise au Palais de Justice de Paris un nouveau “procès Céline” !C’est dire si le livre de David Alliot et Éric Mazet vient à point nommé pour remettre les pendules à l’heure. Le lecteur y verra que ni le docteur Joseph Hogarth (Bezons) ni le docteur Herminée Howyan (Clichy) ne furent victimes des propos de leur confrère Destouches. Et, comme l’a admis l’Association des Amis de Robert Desnos, Céline n’est strictement pour rien dans le sort tragique du poète. Les auteurs démontent aussi l’assertion venimeuse selon laquelle Helmut Knochen aurait désigné Céline comme agent du SD. C’est de la même farine que la mention de son nom sur une note d’Otto Abetz le pressentant pour diriger le Commissariat général aux questions juives. Le premier biographe de Céline évoquait déjà un « document sans aucune valeur de preuve » (Gibault III, p. 257). Tout le problème réside là, en effet : n’ayant ni l’un ni l’autre de formation historique, Taguieff et Duraffour ne procèdent à aucune critique interne et externe des documents qu’ils exhument. À partir de là, c’est la porte ouverte à toutes les allégations, surtout si elles vont dans leur sens.Le plus grotesque dans la démarche de Taguieff est sans doute ailleurs : dénier à Céline toute réelle valeur littéraire. « Son pavé est conçu comme une entreprise de démolition de l’écrivain. L’intention est bien d’écarter de Céline tout lecteur, tout directeur de thèse, tout acteur, comme autrefois les catholiques jetaient l’opprobre sur Voltaire, les républicains sur Chateaubriand, les féministes sur Sade et les sacristains sur Baudelaire. »
Gageons que la grande presse ne parlera guère de cet opuscule incisif et pugnace. Ce serait mettre en question les articles convenus qui rendirent compte du bouquin de Taguieff. Les céliniens, eux, savent ce qu’il leur reste à faire : lire et faire connaître autour d’eux cet ouvrage qui y répond de si magistrale façon.
• David ALLIOT & Éric MAZET, Avez-vous lu Céline ?, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 128 p. Diffusé par le BC (20 €, port inclus).
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Bulletin célinien n°411
octobre 2018
Sommaire :
- Céline en Italie:
Rencontre avec Valeria Ferretti
- Une « dénonciation oubliée »
- Actualité célinienne
- « Céline & Céline » de Michel Ruffin.
par Marc Laudelout
Jean-Luc Barré, qui dirige depuis une dizaine d’années la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, accomplit une partie de la mission que n’assure plus Antoine Gallimard pour la « Bibliothèque de la Pléiade ». Celle-ci se targue d’être « un héritage augmenté des chefs-d’œuvre de notre temps ». Pour des raisons de toute évidence idéologiques, la maison Gallimard refuse une part de cet héritage. Ni Barrès, ni Bainville, ni Maurras n’y ont droit de cité. Tous trois réédités, en revanche, dans la collection « Bouquins ». On peut naturellement penser ce que l’on veut du maître de Martigues mais nier qu’il ait exercé, pendant près d’un demi-siècle, un magistère intellectuel sur ses contemporains serait grotesque. Dans un fort volume de plus d’un millier de pages, les éditions Robert Laffont rééditent donc ses grands textes, de L’Avenir de l’intelligence à Kiel et Tanger sans oublier ceux sur l’esthétique ainsi que sa poésie dont de superbes textes érotiques inédits.
Il est sans doute inutile de rappeler ici à quel point les tropismes céliniens diffèrent des tropismes maurrassiens. Attiré par la Méditerranée et l’Antiquité gréco-latine, Maurras eut une inclination pour le fascisme italien tout en vitupérant contre l’Allemagne dont il fut, tout au long de sa vie, un farouche adversaire. Alors même que Céline considérait cette germanophobie contre nature et porteuse de nouveaux périls. Dans un article paru en 1942, « La France de M. Maurras », son ami Lucien Combelle stigmatisait, lui aussi, cette germanophobie. Ce qui lui attira un commentaire acerbe de Céline lui reprochant de passer à côté de ce qui était pour lui l’essentiel : l’antiracisme de Maurras déjà tancé quatre ans auparavant dans L’École des cadavres. À la suite d’Urbain Gohier, Céline soupçonnait même des origines sémites au leader de l’Action Française.
À ce propos, signalons que l’unique livre consacré à Combelle vient d’être réédité dans cette même collection « Bouquins » avec d’autres livres de Pierre Assouline sur la période de l’Occupation : ses romans (La cliente, Lutetia, Sigmaringen), sa biographie de Jean Jardin et son essai sur l’épuration des intellectuels. C’est dire si cette période fascine depuis toujours Assouline qui s’en explique dans une préface inédite, « Apologie de la zone grise ». Il y évoque avec nuance sa relation à cette histoire complexe. Laquelle n’était pas faite que de héros et de salauds. Comment d’ailleurs qualifier un jeune Français d’une vingtaine d’années acceptant de risquer sa vie sur le front de l’Est pour des idées qu’il croit justes ? Le juif sépharade qu’est Assouline fut l’ami de Combelle qui, non seulement crut au fascisme, mais en fut un ardent militant jusqu’en juillet 1944. Cette amitié l’honore, cela va sans dire, mais ce qui le distingue encore davantage de la plupart de ses confrères, c’est le refus de tout manichéisme. Et le goût de comprendre avant de juger.
La correspondance de Céline à Combelle a été éditée par Éric Mazet dans L’Année Céline 1995 (Du Lérot, 1996, pp. 68-156). Signalons aussi l’émission télévisée de Bernard Pivot sur « Les intellectuels et la Collaboration » (Apostrophes, 1er décembre 1978) à laquelle Combelle participa [https://www.youtube.com/watch?v=IcgWGFwt7nQ] et la série d’entretiens que Pierre Assouline eut avec lui (À voix nue, France Culture, 25-29 juillet 1988) [https://www.youtube.com/watch?v=D6rWO3pEPdc].
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Par Yann P. Caspar
Ex: https://visegradpost.com
« Voici la terrible histoire de Philippe Ignace Semmelweis ». C’est ainsi que le Docteur Destouches amorce la préface de 1936 à la première édition commerciale de sa Thèse de Médecine, soutenue douze ans plus tôt à Paris, et ayant pour sujet la vie et l’oeuvre du plus célèbre médecin hongrois. Alors qu’on omet aisément de rappeler qu’avant de s’illustrer par une production littéraire hors du commun, Céline est avant tout un médecin sincèrement convaincu de sa vocation, cette thèse peut se lire comme l’étincelle qui allumera la flamme du style célinien et une lumineuse évocation du destin maudit des deux hommes.
D’une patte narguant continuellement les standards de la rédaction scientifique, Céline raconte le toujours plus insoutenable agacement de ce jeune obstétricien hongrois découvreur de l’asepsie face à la crasse et jalouse ignorance de ses confrères viennois. Peignant un monde médical majoritairement composé d’esprits invariablement tièdes, étroits et mesquins, Céline fait de Semmelweis l’archétype du génie s’acharnant passionnément à vouloir imposer ce qu’il pense être juste et vrai, sans bien sûr s’encombrer inutilement du moindre tact mondain. Quiconque sait le parcours de Céline pourra ainsi voir dans ce texte de 1924 une étonnante et splendide prophétie auto-réalisatrice rédigée par le futur prostré de Meudon, où vivant chichement ses dernières années de pestiféré avec sa femme Lucette, coupé du monde et clochardesque devant ses rares visiteurs, il écrira coup sur coup trois chefs d’oeuvre absolus : D’un château l’autre, Nord et Rigodon.
Quel est donc le génie d’un Semmelweis ? Exerçant dans une clinique où la fièvre puerpérale ravage les femmes en couche, surtout lorsque celles-ci sont tripotées par des étudiants ayant plus tôt effectué des dissections, Semmelweis comprend que cette mortalité massive est directement liée à la propagation de miasmes cadavériques dans les organes génitaux féminins. Déjà persuadé que la cause de ces décès se trouve au sein de la clinique même, son déclic survient le jour où son ami Kolletschka, souffrant d’une blessure au scalpel contractée lors d’une dissection, meurt des suites de symptômes similaires à ceux de la fièvre puerpérale.
Commentant cette révélation, Céline se plaît à souligner qu’elle intervient au retour du jeune Hongrois d’un voyage de plusieurs mois à Venise. Profondément ému par la beauté de cette ville, Semmelweis aurait tout naturellement flairé l’évidence : la pourriture cadavérique est à l’origine de la fièvre puerpérale. Ébloui par le génie de Philippe, Louis préfigure alors le sien : « La Musique, la Beauté sont en nous et nulle part ailleurs dans le monde insensible qui nous entoure. Les grandes œuvres sont celles qui réveillent notre génie, les grands hommes sont ceux qui lui donnent une forme »1.
Les accoucheurs se lavent les mains et la mortalité se met à dégringoler. Aux quatre coins de l’Europe, les médecins, tout réputés qu’ils soient, se mobilisent contre ce ridicule et vaniteux Hongrois, et entendent bien mettre un terme à cette folie hygiéniste. Semmelweis est mis à l’index, on l’humilie et l’invite prestement à rejoindre Budapest. Il arrive dans une capitale hongroise en pleine effervescence, peu de temps après le déclenchement des événements de 1848. Ce trentenaire banni de médecine s’éprend de politique avant de plonger dans une sérieuse dépression suite à la défaite des révolutionnaires. Bien que Céline n’ait jamais montré de tropisme centre-européen — et a fortiori une passion pour la Hongrie —, il met brillamment le doigt sur un caractère national hongrois : la propension magyare à savourer trop rapidement une victoire avant de se laisser happer par un état de mélancolie aggravé ; en somme, la Hongrie : une nation dont l’histoire n’est qu’une succession de sauteries sans lendemain.
L’histoire de Philippe Ignace Semmelweis, c’est celle de Louis-Ferdinand Céline. C’est celle de deux tarés se sentant dès leur adolescence investis d’une mission contre la bassesse et la lourdeur de notre monde. Reniés, exclus, ils crient, vocifèrent ; ils délirent. Ils savent que le talent est monnaie courante, alors que le génie est rare. Le talent procède de la matière grise, il est froid. Ils montrent qu’il n’y a guère que la chaleur des émotions et des tripes pour transformer le talent en génie. Imposer son génie à la société est possible en maîtrisant les codes des relations humaines — qualité que possédait assurément Louis Pasteur pour théoriser et faire reconnaître ce que le furieux Semmelweis avait senti avant lui.
1 Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Collection L’Imaginaire, Gallimard, 1999, Paris, p. 67
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Bulletin célinien n°405
Sommaire :
- Lucette, entre toutes les femmes
– Céline et le Comité de Prévoyance et d’Action sociale
– Misère de la condition humaine chez Céline
– Galtier-Boissière
– Céline à Leningrad
Faut-il que la gloire posthume de Céline insupporte certains ! Dans un roman aussi pesant que touffu, Maxime Benoît-Jeannin raconte les liens professionnels et privés qui unirent, sous l’Occupation, deux personnalités aussi affirmées que Dominique Rolin et Jeanne Loviton à Robert Denoël. Céline, son auteur fétiche, apparaît à plusieurs reprises. Paranoïaque, veule et bien entendu partisan de l’extermination de la race élue ¹, c’est ainsi que ce romancier le dépeint sans nuance. En revanche, il a pour Sartre les yeux de Chimène, se gardant bien de rappeler que celui-ci se compromit avec un autre totalitarisme ². Et de dénoncer dans l’épilogue « un Sartre bashing frénétique qui touche tous les milieux » ainsi que « cette haine pathologique pour le philosophe français le plus important depuis Descartes [sic] ». Pour en arriver à déplorer que « du coup, la commémoration du centenaire de sa naissance se fit a minima. » La phrase qui suit est édifiante à souhait : « Parallèlement, la gloire de Céline monte encore en puissance, son lectorat ne cesse de grandir. » …Voilà qui est assurément insupportable.
Quant à ce roman, gageons qu’il découragera plus d’un lecteur s’intéressant à cette période. Tant de personnages défilent qu’on ne parvient à s’attacher à aucun d’entre eux. On a en outre l’impression que l’auteur a voulu y fourguer toute sa documentation. Elle est d’autant plus vaste qu’il l’a largement puisée sur un site internet en libre accès: celui qu’Henri Thyssens consacre depuis 2005 à Robert Denoël. Mais on est loin de l’élégance d’un Pierre Assouline qui, à la fin de son roman Sigmaringen, tint à citer ses sources. Le travail de Thyssens est ici sommairement mentionné au détour d’une page alors que, sans les recherches qu’il a accumulées pendant vingt ans, ce roman n’existerait tout simplement pas. Quant au chercheur il est qualifié d’« admirateur de Louis-Ferdinand Céline », ce qui, dans l’esprit de l’auteur, doit être un tantinet suspect.
Dans la presse Benoît-Jeannin se défend d’être manichéen mais le lecteur constate qu’il n’a que profond mépris pour tous les écrivains qui se sont engagés dans la voie de la Collaboration. C’est dire si l’on s’écarte du jugement d’un Malraux qui considérait Drieu comme « l’un des êtres les plus nobles qu’[il ait] rencontrés ». Ici, tous ceux qui étaient dans le mauvais camp sont jugés à l’aune de la même toise. C’est tellement plus simple ainsi.
Reste l’énigme du meurtre de Robert Denoël. L’auteur y voit la conséquence d’une altercation qui aurait mal tourné entre un résistant revenu des camps et Denoël qui lui aurait demandé son appui pour le procès dont il était menacé. Hypothèse qui paraît un peu alambiquée. Une seule chose est sûre : on n’a pas fini de gloser sur cette affaire vieille de plus d’un demi-siècle.
• Maxime BENOÎT-JEANNIN, Brouillards de guerre (roman), Éditions Samsa, 2017, 500 p. (26 €)
17:23 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, céline, robert denoël, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, revue, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
18:25 Publié dans Cinéma, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, cinéma, 7ème art | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Sur l'annonce de la réédition des pamphlets de Céline
par Richard Millet
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque la polémique autour de l'annonce par les éditions Gallimard de la publications des pamphlets de Céline dans la bibliothèque de La Pléiade...
Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié cet automne aux éditions Léo Scheer un roman intitulé La nouvelle Dolorès. Il devrait prochainement publier son journal, de l'année 1971 à l'année 1994.
Polémique pour une autre fois
Après plusieurs semaines d’une polémique qui a agité quelques arrondissements de Paris, M. Gallimard vient de « suspendre » la republication des pamphlets de Céline. L’argument « scientifique » de l’éditeur et la caution de Pierre Assouline ne l’ont pas emporté sur le concert d’opinions diverses, néanmoins attendues, car déjà énoncées maintes fois, et qui donnent l’impression d’un ballet sans paroles ni musique ni rien, puisque la non-republication des pamphlets par l’éditeur « historique » de Céline ne règle rien.
On peut imaginer que la « polémique » incitera ceux qui n’ont pas encore lu ces textes à acheter, via Amazon, l’édition québécoise, ou à les lire en PDF – les plus curieux se procurant d’illicites reprints. Sur la question des pamphlets, j’ai, pour ma part, toujours été de l’avis de Sollers : il faut les republier ; ils font partie de l’œuvre, tout comme les écrits politiques de Bernanos, Gide, Drieu, Montherlant, Camus, Sartre...
Pour le reste, cette « polémique » ne constitue pas, comme on l’a dit, une « affaire » Céline : celle-ci a eu lieu en 1945 ; ou bien Céline est une affaire à lui tout seul. Craindre que la réédition, dans l’austère collection des Cahiers de la NRF, à côté des articles d’avant-guerre de Blanchot et du Journal inutile de Morand, de textes qu’on trouve aisément relève donc d’un accès de vertu : je ne sache pas que la republication, il y a trois ans, des Décombres de Rebatet ait nourri l’antisémitisme en France. L’antisémitisme « culturel » est mort en 1945. Celui qui a récemment vu le jour est le fait d’une population musulmane radicalisée et/ou délinquante, qui agit au nom du cliché du « juif riche » ou encore du « sioniste » qui opprime, même à distance, le peuple palestinien, et qu’il faut donc punir. Ceux qui ont tué Ilan Halimi, plus tard Sarah Halimi, et qui ont incendié une épicerie cacher, à Créteil, la semaine dernière, n’avaient pas lu Bagatelles pour un massacre. Savent-ils même lire ? Cet antisémitisme-là est là un des non-dits majeurs du gauchisme officiel, dont l’alliance objective avec l’islam sunnite suscite un « bloquage » majeur de la vie politique, en France et en Europe.
Redouter, plus largement, que les pamphlets de Céline ne corrompent la jeunesse, c’est supposer à cette dernière une capacité à lire qu’elle n’a plus. Car Céline n’est pas un écrivain facile, et nullement à la portée de ceux qui, voyous islamistes de banlieue ou petits-bourgeois connectés, ont bénéficié l’enseignement de l’ignorance qui est, selon Michéa, le propre de l’Education nationale. Un état de fait pieusement réfuté, à l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, par un magazine officiel qui voit, dans les 50 années qui se sont écoulées, un remarquable progrès de l’enseignement public : ne sommes-nous pas arrivé à 79% de bacheliers, c’est-à-dire un progrès de 20% ? En vérité il faut, en cette matière comme en toutes les autres, inverser le discours : il ne reste plus que 20%, environ, d’élèves à peu près capables de lire et d’écrire correctement le français, et de se représenter l’histoire de France autrement que par le filtre relativiste et mondialiste du néo-historicisme.
Pendant que les intellectuels bataillaient, je songeais à la façon dont Daniel Barenboim avait, il y a une dizaine d’années, suscité une vive polémique en dirigeant pour la première fois du Wagner en Israël. La question de l’œuvre, de la possibilité d’une œuvre, jusque dans ses excès, ses errements, ses apories, est donc légitimement posée de façon passionnée ou prudente ; mais c’est peut-être la dernière fois qu’elle se posera, en une ère qui voit disparaître peu à peu la possibilité psychologique de connaître Wagner et de lire Céline. La jeunesse contemporaine n’a plus rien à faire de Wagner, de Céline, d’Aragon, de Ravel, de Giono, de Boulez, ou de Soljenitsyne : elle ne sait rien, et ne veut qu’être connectée à elle-même, c’est-à-dire au néant.
Le problème n’est donc pas d’empêcher les jeunes gens de lire les pamphlets de Céline (et je n’userai pas de l’argument spécieux, entendu dans quelques bouches qui avancent que, comme pour Harry Potter, mieux vaudrait que les jeunes lussent ces pamphlets que rien du tout) ; le problème est, brame la presse officielle, de « désintoxiquer les ados du téléphone portable ». Question en effet primordiale, et à la désintoxication du « portable », ajoutons celle du cannabis, du gauchisme culturel, du consumérisme, de la télévision, de la mondialisation. Est-ce possible ? Par quel exorcisme ? Et pour quelles valeurs autres que les fariboles « républicaines » et onusiennes ? Oui, comment retrouver le réel ?
Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 13 janvier 2018)
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Propos recueillis par Benjamin Fayet
Ex: http://www.philitt.fr
David Alliot est spécialiste de Louis-Ferdinand Céline. Il est l’auteur D’un Céline l’autre (2011), publié dans la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, et vient de publier chez Tallandier une biographie de Lucette Destouches intitulée Madame Céline. Il répond à nos questions sur la polémique suscitée par la volonté des éditions Gallimard de rééditer les pamphlets de l’auteur du Voyage au bout de la nuit.
PHILITT : Céline s’est toujours opposé à la republication des pamphlets. Être célinien, est-ce par conséquent s’opposer au projet de Gallimard ?
David Alliot : Céline s’était opposé à la réédition des pamphlets à son retour du Danemark. Il considérait que ces textes étaient des écrits de circonstance, et il ne voulait plus en entendre parler. À sa mort, sa veuve a poursuivi en ce sens en s’opposant à toute réédition, jusqu’à une date récente. Comme célinien, je suis favorable à leur réédition, mais en ce domaine c’est l’ayant-droit (donc Lucette) qui est décisionnaire. Sinon, il faudra attendre le 1er janvier 2032, lorsqu’ils tomberont dans le domaine public.
La republication des Décombres de Rebatet n’a pas suscité un scandale de cette envergure. Comment expliquer cette différence de traitement, sachant que Rebatet était un collaborationniste revendiqué, contrairement à Céline ?
Il faut être réaliste, Rebatet n’a pas la même envergure littéraire que Céline. Céline est considéré, à juste titre, comme un écrivain majeur du XXe siècle, et certains de ses romans sont étudiés en classe, notamment le Voyage au bout de la nuit. Rebatet a été plus loin que Céline dans la collaboration, certes, mais on ne joue pas dans la même division en terme de notoriété, ni dans la place qu’ils occupent dans la littérature.
L’antisémitisme de Céline est tellement délirant et extensif qu’il n’était pas pris au sérieux par les antisémites officiels, pourtant ses pamphlets sont considérés comme la quintessence de l’antisémitisme. Est-ce dû à son talent d’écrivain ?
Oui, hélas. Dans les années 1930, le pamphlet antisémite est l’apanage de docteurs ratés, d’aigris, de mauvais… avec l’arrivée de Céline dans ce « genre » particulier, il y apporte son souffle, son style et une forme de génie littéraire. C’est ça le vrai « scandale Céline ». Mettre son talent littéraire dans une cause qui ne le méritait pas.
Pensez-vous, comme certains l’avancent, que le génie littéraire de Céline est absent des pamphlets ?
Le talent littéraire de Céline est présent dans les pamphlets, mais diffère de celui des romans. Là, on est dans l’outrance et l’exagération permanente. Ceci dit, il y a de très beaux passages littéraires dans les pamphlets… Entre deux torrents de haine antisémite, on y trouve une magnifique description de Leningrad… que vient elle faire là ? Mystère !
Certains avancent que Lucette Destouches, la veuve de Céline aujourd’hui âgée de 105 ans, et dont vous venez d’écrire une biographie, a décidé cette sortie pour des raisons strictement financières. Quelles sont les raisons de sa décision selon vous ?
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Bulltetin célinien n°403
Sommaire :
Une réédition sous surveillance
Klarsfeld réclame l’interdiction des pamphlets
Un poème d’Auguste Destouches
Le docteur Clément Camus (2e partie)
Théâtre : La Ballade du soldat Bardamu.
Cette édition collective fera-t-elle problème ? Déjà le Conseil représentatif des institutions juives de France s’est dit hostile à cette initiative, considérant que cette réédition n’est rien d’autre qu’une « réhabilitation des idées nauséabondes de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. » Francis Kalifat, président du CRIF, ajoute que son organisation restera vigilante quant à la mise en perspective historique ajoutée à cette réédition, tout autant qu’à la qualité de l’appareil critique. Quant aux célinistes, on sait qu’ils sont quasi tous favorables à cette réédition. En 1984, le BC avait notamment cité l’avis de Philippe Alméras, premier président de la Société d’Études céliniennes : « D’une part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien l’attrait de l’interdit, d’autre part si cette pensée est aussi “bête”, “aberrante”, “incohérente” qu’on le dit, pourquoi ne pas l’étaler et la laisser se détruire toute seule ? ». Quant à Henri Godard, il estimait que « plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques » ¹. Dans un livre plus récent, il observait que l’amateur de Céline, découvrant aujourd’hui ces écrits polémiques, a inévitablement deux types de réactions : « Tantôt : je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles horreurs. Tantôt : je n’imaginais pas qu’il y avait de si beaux passages, ou si drôles ². » Tout est dit.
Le Bulletin célinien a été fondé en 1981 par Marc Laudelout (n°0). D’abord trimestriel (1982, n° 1 à 4), il devient mensuel à partir de l’année suivante. Plus de 400 numéros ont paru depuis. Il s’agit du seul périodique mensuel consacré à un écrivain.
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B.P. 77
1200 Bruxelles
Belgique
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Bulletin célinien, n°401, novembre 2017
Sommaire : Les souvenirs d’Hermann Bickler – Le docteur Clément Camus (1ère partie) – Un célinien au parcours étonnant – D’un château l’autre
Tous ces faits, et bien d’autres, sont rappelés dans une passionnante biographie de Berl qui est loin d’être complaisante.
• Olivier PHILIPPONNAT et Patrick LIENHARDT, Emmanuel Berl. Cavalier seul (préface de Jean d’Ormesson), La Librairie Vuibert, 2017, 497 p. (27 €)
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« Céline. Parler de lui ? Tout a été dit ou presque sur l’écrivain. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il est là. Incontestable, même lorsqu’il est contesté. Parler pour lui ? Fendre le masque marmoréen du monument, tenter de regarder l’homme derrière, de capter un filet de voix mourante ? Non, il ne s’agit ni de parler pour lui ou comme lui, mais de parler avec lui. Foin du marbre, de la grande statue dont l’ombre elle-même est si immense qu’elle écrase tout. Chair à chair, pour une fois. Se glisser dans les interstices, chercher à les remplir comme le ferait un ami venu le visiter en toute humilité, l’ami fût-il anonyme. Rester au chevet du malade, auquel le temps paraît bien court – et une éternité, pourtant. Nauséabond, soit . Jusqu’à l’os, parfois. Propre sur lui, rarement. Probe, à sa façon, certainement, vulnérable toujours : Céline tel qu’en lui-même, tel que je le vois, dans sa nuit, la dernière. »
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di Stenio Solinas
Fonte: Il Giornale
La biografia firmata da De Roux è una meditazione sulla morte e sullo stile: "Aveva rischiato per tutti quelli che non rischiano niente, lecchini e giustizieri"
Dopo l'uscita di La mort de L.F. Céline , Abel Gance, un nome che da solo incarna il cinema, definì il libro «una delle più grandi pagine della nostra letteratura» e il suo autore, Dominique de Roux, uno di «quegli illuminados » sopravvissuti alla modernità.
«Quando si scava volontariamente il fossato che vi separa dagli altri - si finisce per scavare la propria tomba - ma i geni la superano e se la lasciano alle spalle. Si accorgono allora di non poter tornare indietro perché, come dice Nietzsche, “il precipizio più piccolo è il più difficile da riempire”. La tragedia dei grandi uomini comincia allora, morti o vivi, quando hanno superato la loro tomba».
A quel tempo de Roux aveva appena compiuto i trent'anni, Gance stava per toccare gli ottanta, ma a essere «più vecchio di se stesso» il primo era abituato: gli era successo con Ezra Pound, con Gombrowicz, con Borges, numi tutelari e solitari che si era messo sulle spalle e aveva riportato al centro della scena. A vent'anni aveva già fondato una rivista e scritto il suo primo romanzo, a venticinque una casa editrice da dieci titoli l'anno. La sua era un'esistenza compressa e insieme dilatata, una bulimia di esperienze propria di chi viveva con la morte in tasca: un «soffio al cuore» ereditario senza scampo, a meno di non ritirarsi ai margini, «pensionarsi» nell'illusione così di risparmiarsi. Morì che non ne aveva ancora quarantadue, lasciandosi alle spalle un pugno di libri editi e qualcuno inedito; una serie di reportage sulla guerriglia nell'Africa allora portoghese; un ruolo di consigliere politico di Jonas Savimbi, il capo dell'Unita, il movimento di liberazione antimarxista dell'Angola; un numero incredibile di polemiche giornalistiche e letterarie, prese di posizione, rotture, censure, accuse, maldicenze. «È inutile sforzarsi a invecchiare, ogni riuscita è impossibile, minati come siamo dalle nostre necessità di rottura».
È anche alla luce di questa esistenza di corsa e da corsaro delle idee che quel libro su Céline acquista un valore particolare e ora che per la prima volta è qui da noi tradotto ( La morte di Céline , Lantana editore, pagg. 135, euro 16, traduzione di Valeria Ferretti, a cura di Andrea Lombardi), il lettore italiano capisce di avere di fronte non tanto una biografia o il profilo di uno scrittore, ma una meditazione sulla morte e sullo stile, sul valore e il senso della letteratura, sul ruolo stesso di chi la fa. «L'opera di Céline resta uno degli enigmi esemplari del nostro tempo. È la scrittura a condannare Céline; è anche colei che lo salva». Come nota nella sua introduzione Marc Laudelout, editore del Bulletin célinien , la più incredibile e informata rivista sull'autore del Voyage , «mai in così poche parole il destino tragico di Céline sarà così ben definito».
Proprio perché non è una biografia in senso classico, e proprio perché scritto negli anni in cui il vero e il falso su Céline erano ancora strettamente mischiati, il libro di de Roux conserva qualche cliché céliniano (la trapanazione del cranio mai avvenuta, la copertina dell' Illustré National mai esistita, il lungo viaggio attraverso la Germania in fiamme che in realtà fu breve...) di cui il tempo ha fatto giustizia. Anche la natura dell'antisemitismo di Céline gli sfugge, ponendosi egli sulla scia di quell'interpretazione-metafora di André Gide che ormai non regge più. Non gli sfugge però già allora la natura del suo razzismo, nata sull'ossessione per la decomposizione del mondo moderno, basata sul culto della salute e della bellezza come possibile rinascita.
Di là da ciò, La morte di Céline è, come già accennato, una meditazione sulla scrittura. «La parola letteraria non ha più senso. Scrivere, e ancor più scrivere in francese, sembra essere la proiezione di una certa decadenza, di un totale fallimento di se stessi». Si avanza insomma su «termitai di parole decadute», intorpiditi nell' art and business , dove i critici si auto-proclamano creatori e gli scrittori pensano alla carriera, mai all'opera. «Pubblicano e pubblicano, sono delle pulci, ma non se ne rendono conto. Dandies paurosi come conigli, “vecchi parrucconi” della mia generazione». È l'epoca della colonizzazione dei premi letterari e dell'imperialismo degli editori: «Il prestigio si riduce al vuoto, un folclore di cretini si sostituisce alla crudeltà della poesia; la chitarra la venale vanagloria del disco, e tutte quell'esperienze ridicole, così l'Europa dell'anno I dell'era atomica».
La morte, spirituale prima che fisica di Céline, vuol dire proprio questo, il venir meno di un destino. «Céline attribuiva al poeta il potere di cambiare il mondo! Scrivere pamphlet inauditi fu il suo destino, perché voleva che la sua protesta fosse udita. Passare il limite equivaleva a screditarsi. Abbandonava la vita per la letteratura, pratica opposta a quella di Rimbaud». Isolato nel suo miraggio dell'uomo leggendario, Céline aveva capito che «le masse de-spiritualizzate, spoetizzate sono maledette».
Il fatto è che per de Roux «la carriera dell'uomo di letteratura non richiede né audacia né capacità. Si basa su così tanti stratagemmi infimi, che il primo venuto può arrampicarsi facilmente e ingannare il pubblico, con la complicità della moda del momento». Niente a che vedere, insomma, con uno che «aveva rischiato per tutti i letterati che non rischiano niente, lecchini e giustizieri. Aveva voluto essere il messaggero della totalità. Ma all'ultimo atto della tragedia, la catastrofe si esprime da sé in sentenza di morte. Si voleva che niente restasse di Céline».
Così, il pamphlet che gli dedica è una sorta di chiamata alle armi: «In Francia siamo in territorio nemico. Noi saremo sempre in territorio nemico. Gli scrittori che non vogliono sottomettersi alle parole d'ordine, alla macchina delle critiche ufficiali, che lotteranno contro le leggi e la vile dittatura delle mode, che dimostreranno con la loro opera vivente, con la provocazione delle loro vite - contro i traditori incoscienti e i falsi testimoni di professione, contro le razze degli spiriti prostrati - costoro raggiungeranno le sparse membra di Céline in questo deserto dei Tartari dove egli monta la guardia contro chi non giungerà mai». Da allora è passato mezzo secolo e purtroppo non è cambiato niente.
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Louis Ferdinand Céline sur Radio Courtoisie
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